C’est à 15h21 très précisément, que j’ai clairement senti que j’aurais pu devenir folle. Que ça aurait pu basculer. Que si je laissais le monde & mes pensées m’envahir sans lutter, ne serait-ce qu’un tout petit peu, c’était terminé. Quelque chose se terminerait.
& qu’une autre chose commencerait. Noire. Lourde. Crasse. Poisseuse. Terrifiante & sans aucun doute irréversible.
Alors j’ai écrit.
Parce que c’est tout ce que j’ai su faire pour résister à moi même.
J’ai noirci des feuilles entières en espérant faire reculer la bestiole enfermée dans mon crâne & dans mon corps.
J’ai écrit n’importe quoi sans réfléchir.
J’ai couru à perdre haleine pendant des pages & des pages. Je ne me suis pas retournée, pas relue, pas arrêtée, pas posé de questions.
J’écoutais le bruit des moteurs dans la rue, je crois que mon cœur aurait pu exploser là, comme ça, paf, à chaque voiture qui passait.
Je ne sentais plus mon dos dur comme du bois, je me fichais des mes doigts, de mes mains, de mes bras, tétanisés par l’effort physique que c’était d’écrire autant.
Je n’utilisais aucun point, aucune virgule, pas de retour à la ligne.
Les mots s’échappaient vivants, s’enchaînaient, s’enroulaient autour de moi. M’étranglaient. Me ligotaient.
Me griffaient.
J’ai griffé aussi. Autant que j’ai pu. Je crois que je me suis battue comme une lionne, pendant de très longues minutes. Peut-être des heures.
& puis, on a sonné à la porte.
Je suis descendue.
J’ai ouvert.
& la bête est partie avec le vent de mars.
Je ne suis pas folle.