L’oiseau de la rue Poissonnière.

Je connais un oiseau qui est trop fainéant pour voler.

Il habite dans ma rue.

Ma rue côté Nord, qui s’appelle  La rue Poissonnière .

C’est assez bien trouvé comme lieu de résidence pour un oiseau.

 

Mon oiseau est une tourterelle.

Tourterelle est le nom vernaculaire générique donné à des oiseaux appartenant principalement à trois genres de la famille des Colombidés.

Bien.

Mais.

La tourterelle qui habite rue Poissonnière n’appartient à rien, ni à personne.

C’est un oiseau qui ne vole pas.

C’est un oiseau qui marche.

Qui n’utilise ses ailes qu’en cas d’extrême urgence.

Seulement lorsque ses deux toutes petites pattes ne vont pas assez vite.

Jusqu’au dernier moment elle reste au milieu de la route quand une voiture arrive. Elle marche de travers, regarde à droite, à gauche, analyse (on dirait) le temps qu’il lui reste avant l’impact, & sait d’avance de quel côté il va falloir qu’elle galope.

Alors que son œil est plus lourd que son cerveau.

Je pense que je connais un oiseau, une tourterelle, qui a déblayé d’un seul coup de patte tout ce que pensais savoir sur les oiseaux.

Je pensais que les oiseaux étaient un peu cons.

Je pensais que ne pas avoir de bras, c’était louche.
Je pensais que les oiseaux ne passaient leur temps qu’à s’envoyer en l’air.

Je pensais que les oiseaux se moquaient de nous parce qu’on n’avait pas de plumes, pas d’ailes.

Parce qu’on était incapables de picorer.

Je pensais que les oiseaux étaient tous des couards de première.

 

Mais pas ma tourterelle.

Moi je pensais tout savoir sur les oiseaux.

J’avais seulement oublié que parfois, ils avaient du courage.

 

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Je t’avais bien dit.

Ce serait bien

de ne pas mélanger

Ce qui traîne & ce qui file

Ce qui est en dur & ce qui n’a aucune substance

Ce qui existe vraiment & ce qui fait la part belle

Ce serait bien

de ne pas mélanger

le Vrai avec le On verra

de se réserver le je te Promets

Pour plus tard

Peut-être même de mentir

un peu

pour protéger

ce si doux

je t’Aime

Pour éviter

notre

je t’avais bien Dit

Ce serait bien

de ne pas mélanger

ce que l’on voit

& ce que l’on pense

Ce que l’on dit

& ce que l’on chante

Ce que l’on écrit

& ce que l’on murmure

Ce que l’on espère

& ce que l’on photographie.

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Le troisième sous-sol.

Je suis au premier étage

En bas c’est la rue, les voitures, les planches à roulettes, les drisses des bateaux, le vent, le chat qui miaule.

Je suis un peu en haut & j’écris.

J’écris, & j’entends.

J’écris & j’entends la voix d’une femme. D’une fille. Une voix, un cri, un sanglot, un râle.

Une plainte de femme, de fille, dans la rue voitures planches à roulettes drisses de bateaux vent chat qui miaule.

J’ai ouvert la fenêtre à l’est parce que je fume & que j’aime bien l’air de l’est à cette heure là.

Il est plus doux qu’un verre de vin.

La fenêtre du nord sent la boue à cause du chantier qui n’en finit plus de commencer, celle du sud est trop lumineuse à cause des lampadaires qu’on allume pour les deux touristes qui, la nuit, voudraient bien voir les bateaux. Ou pour essayer d’empêcher les gens de tomber dans le port.

J’entends & j’écoute la plainte de la femme-fille sous la fenêtre à l’est.

J’hésite à me lever parce que j’ai un peu peur de ce qu’il se passe juste en bas.

& puis ici, sur ma chaise, devant ma table ronde & mon clavier noir, c’est confortable.

& puis qui sait que j’ai entendu la plainte ?

Qui pour deviner que je suis là ?

La lumière ?

Bon.
Je pourrais être devant la télé que je n’ai pas, ou dans la cuisine, ou encore endormie sur un canapé. Je pourrais aussi bien être partie loin & pour toujours en laissant tout comme ça.

Tout allumé. Tout en cours.

 

Je suis au premier étage de mon immeuble, & au troisième sous-sol de mon courage.

 

La voix, le cri, le sanglot, le râle, la plainte & la fille se sont lentement dissous dans le vent de mars.

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